Etre validant, une ressource indispensable pour tous

La dialectique au service de nos relations

La dialectique permet d’apprendre à reconnaître et prendre en compte plusieurs points de vue, plutôt que de se polariser sur ses seules idées et émotions personnelles. Après Hegel, la dialectique a été beaucoup répandue dans la philosophie avec Sartre, Husserl, Heidegger, Habermas, Merleau-Ponty. A se demander si toute philosophie n’est pas dialectique, art du raisonnement et de la persuasion…

Aujourd’hui, je vous invite à découvrir la dialectique sous un angle plus psychologique, non pas comme manière de raisonner intellectuellement, mais plutôt de résonner ensemble en harmonie. Une telle approche permet de mieux appréhender la réalité, et d’initier des changements par un dialogue qui rejoigne chacun dans sa réalité la plus profonde. C’est ce que propose la TCD, « thérapie comportementale dialectique.»

Développée et adaptée pour les malades aux troubles de la Personnalité Limite borderline, elle offre une vision large et systémique, qui fait écho aux méthodes collaboratives actuellement prônées en entreprise. En effet, elle replace nos comportements dans un contexte précis, et propose une confrontation dynamique à la réalité, qui vise à satisfaire nos envies et besoins personnels parfois contradictoires, dans un équilibre à trouver entre ce qu’on perd ou gagne à agir et changer.

La TCD nous enseigne la pleine conscience et la pleine présence relationnelles, en nous invitant notamment à la validation, pierre angulaire à partir de laquelle on construit et maintient une relation. C’est par la validation que nous prouvons toute la valeur que nous accordons à la relation, aussi bien avec l’autre qu’avec nous-mêmes.

La validation porte ainsi à la fois sur notre dialogue intérieur personnel
et notre dialogue verbal et non verbal avec l’autre.

La TCD est enseignée et mise en pratique dans nos modules de psychoéducation issus du programme international et de l’association éponyme Connexions Familiales que nous avons co-fondée entre pairs aidants et psychiatres.

Au-delà de cette maladie, elle est intéressante à comprendre et déployer dans tout  type de relation, ainsi que dans les modèles horizontaux et collaboratifs qui se développent au sein de nos organisations de travail.

  • Pour commencer, découvrons ce qu’est la validation, ce que nous pouvons valider ou non, comment faire, et par quelles formulations et phrases précises.
  • Dans un deuxième temps, nous préciserons ce qu’est l’auto-validation, qui est la forme première d’une saine estime de soi, indispensable pour agir et interagir de façon harmonieuse.

En nourrissant cette estime de soi, nous pouvons mieux reconnaître l’autre et vivre ensemble de façon harmonieuse. 

 

Valider l’autre, de quoi s’agit-il ?

La validation

  • Est au centre de la communication (avec le dévoilement authentique)
  • Bâtit la confiance et ralentit la réactivité négative
  • Fait baisser la colère
  • Accentue le respect de soi
  • Est la clé pour traverser les moments difficiles dans la relation
  • Donne un sentiment plus positif de la relation tant à la personne qui donne la validation qu’à celle qui la reçoit
  • Rend possible la résolution des problèmes, le rapprochement et d’autres formes de soutien

Valider, est-ce fermer les yeux et tout accepter ?

Non bien sûr, puisque tout n’est pas acceptable. La validation ne vise donc pas nos actes mais la personne : nous avons besoin d’être validé comme personne vivante et unique.

Validez donc seulement ce qui est valide …
et sachez qu’il y a toujours des éléments valides !

Dans une relation, le premier problème n’est pas l’événement passé : c’est ce que l’autre ressent. Ainsi, ses sentiments doivent être le problème à aborder et non pas la situation. Pour ce faire, vous devez utiliser un langage émotionnel, non rationnel et critique.

Les cibles de la validation : Qu’est-ce que je dois valider ?
  • Les sentiments ou les émotions (exemple : Je vois que tu es vraiment fâché contre moi).
  • La légitimité d’un désir (Je sais que tu veux de l’argent pour décorer ton appartement parce que tu veux qu’il soit beau, mais en ce moment je n’ai pas d’argent à te donner).
  • Les croyances, opinions ou réflexions au sujet de quelque chose.
  • Les valeurs profondes à propos de quelque chose.
  • La difficulté d’une tâche (Je comprends à quel point les choses sont difficiles pour toi).
  • L’ampleur des efforts déployés par une personne pour accomplir quelque chose (Je sais que tu fais du mieux que tu peux en ce moment).
  • Les choses qu’une personne fait et qui fonctionnent pour elle (Je sais à quel point tu travailles fort pour cela et on dirait que ça donne des résultats. Tu fais beaucoup d’efforts et ta situation s’améliore).
  • Les choses qu’une personne fait pour une autre (Tu as tellement rendu service à ta grand-mère).
  • Les efforts déployés (renforcement).
Comment faire ? Pour valider, soyons tous CLEAR

51bQARYgIiL._SX372_BO1,204,203,200_ALAN FRUZZETTI, professeur associé de psychologie et directeur du Programme de recherche et de thérapie comportementale dialectique à l’Université du Nevada, à Reno, nous propose une méthode en 5 points, pour identifier et communiquer CLAIREMENT notre interprétation de ce que l’autre personne dit ou ressent. Cette méthode est indispensable pour accompagner des malades borderline, aux troubles de l’émotion labile. C’est ce que nous apprenons au sein de notre association Connexions Familiales de pairs aidants et psychiatres.

Tous les proches et professionnels qui ont suivi les modules que nous animons sur la base d’un programme international éprouvé depuis 15 ans dans plus de 20 pays sont pourtant unanimes pour dire que la méthode CLEAR est valable pour tout type de relation.

C ommuniquer votre compréhension de la situation
L égitimer les « faits » ou les réactions de l’autre
E xpliquer vos propres sentiments après avoir exprimé votre compréhension
A dmettre que la situation, les opinions ou les sentiments de l’autre existent
R especter les émotions, les désirs, les réactions et les buts

 Nous n’avons pas à être obligatoirement d’accord avec la personne ni avec ses réactions, mais nous devons admettre quand même sa façon de réagir, ou tout au moins ses sentiments. Nous pouvons reconnaître que quelqu’un est en colère contre nous sans forcément avouer avoir eu tort.

Ainsi, plutôt que de dire : « Je ne peux pas croire que tu me mènes la vie dure à ce sujet, tu fais ça tout le temps! » , nous pouvons dire « Je suis désolé, je vois que tu es contrarié, que puis-je faire pour améliorer la situation? ».

Même si nous sommes persuadés d’avoir raison (or avoir raison n’est pas le but d’une relation), nous cherchons à aller de l’avant, sans rester figé comme une statue de sel vers le passé, à jouer au ping pong des arguments pour avoir le dernier mot.

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Les formes verbale et non verbale de validation

La communication ne se limite pas aux mots, elle comprend aussi les gestes, l’attitude, le langage corporel. Parfois, notre comportement est une forme de validation (ou d’invalidation) à lui seul. Par exemple, si quelqu’un est affamé, nous lui offrons quelque chose à manger. Il n’est pas nécessaire de dire « Je comprends ta douleur », mais on peut communiquer indirectement notre compréhension de la situation en nous occupant directement du besoin à combler.

On peut donc valider avec notre corps : un regard, un contact visuel et, en particulier, un toucher sont de bons moyens de communiquer notre compréhension et notre empathie. Par exemple, tapoter la main de quelqu’un, lui faire un sourire, lui donner une étreinte.

En agissant ainsi, nous augmentons nos chances de maintenir ou de favoriser le climat propice pour commencer à discuter d’une situation difficile, régler le problème et utiliser d’autres ressources et formes de soutien.

La validation fait en sorte de maintenir une relation en vie parce qu’elle rend la compréhension possible.

Concrètement, que dire et cesser de dire ?

Bon, vous ne voyez toujours pas concrètement de quoi je parle ? Ce récapitulatif que j’ai repris des fiches du programme Connexions Familiales, issu de l’association NEABPD, vous paraît trop abstrait, utopique, irréalisable ?

Je vous propose donc pour finir cette liste de phrases validantes et invalidantes, également issus du programme précité.

Vous pourrez vous-même y retrouver de multiples souvenirs de ce qui a marché ou dégénéré dans vos relations avec vos proches, et profiter de ce temps de confinement pour apprendre de nouveaux modes relationnels. Pour finir, vous pourrez également penser à votre propre validation, afin d’être un bon compagnon de vie pour vous mêmes.

PHRASES DE VALIDATIONOh la la, cela/il/elle a vraiment dû te mettre en colère.

Ça doit être frustrant d’être dans une situation pareille ! Ça doit être horrible pour toi que quelqu’un fasse cela.

C’est vraiment embêtant !

En effet, je peux comprendre pourquoi cela te rend si triste. C’est normal que cela te touche à ce point.

Quelle situation difficile.

Tu as l’air de penser que c’est très injuste et qu’on ne devrait pas te demander de faire cela.

Cela doit être très décourageant. Je suis sûr que tu es déçue.

Mince, je sais à quel point cela comptait pour toi.

Dis-moi en plus. (montrer de l’intérêt)

Je vois bien que tu es très touchée/triste/effrayée/apeurée. Moi aussi je serais touchée/triste/effrayée/apeurée.

Aide-moi à comprendre…

Qu’est-ce que je ne comprends pas ? Aimerais-tu connaître mon opinion ? Souhaiterais-tu savoir ce que je pense ?

D’accord.

Je vois bien que tu es bouleversée.

Laisse-moi t’aider. Pouvons-nous en parler ?

Je sais que tu as peur. Cela va être difficile… Et je sais que tu vas y arriver.

Comment puis-je t’aider à te sentir mieux ?

Sur une échelle de 1 à 10 (1 : je vais bien, 10 : je suis dépassée !) peux-tu m’indiquer ton niveau de stress actuel ?

Que s’est-il passé exactement ?

Cela a dû être très troublant pour toi.

J’ai besoin de temps pour y réfléchir.

Est-ce le bon moment pour parler ?

Je vois bien que c’est très important pour toi mais dans ce cas je ne partage tes opinions.

PHRASES D’INVALIDATIONSi vous voulez qu’une phrase de validation sonne « vraie », faites en sorte que cette phrase soit liée à la vérité de la situation de l’autre personne. Cette vérité est la façon dont ils se sentent dans cette situation. Lorsque vous dîtes une phrase de validation, vous ne devez pas

– tout ramener vers vous. « J’ai détesté ça quand ça m’est arrivé. »

– prendre l’avantage sur l’autre personne. « Oh, tu penses que c’est dur pour toi… »

– leur dire comment ils doivent se sentir. « Tu devrais t’estimer heureux/heureuse… »

– essayer de leur donner des conseils. « Ce que tu devrais vraiment faire est… »

– essayer de résoudre leurs problèmes. « Je vais appeler les parents de cette fille et… »

– diriger (il y a un temps pour cela, mais ce n’est pas le moment). « Je sais que tu peux faire cela… »

– faire des déclarations sur la « vie ». « Eh bien, la vie n’est pas juste… »

– juger. « Ce que tu as fait n’est pas bien… »

– revenir sur le passé. « Si seulement tu avais… »

– parler de vos sentiments. « Imagine ce que je ressens. »

– faire des déclarations sur la personne. « Tu es trop sensible… »

– justifier le comportement de quelqu’un d’autre. « Je suis sûre qu’ils étaient simplement… »

– être insultant. « Tu es une gamine. »

– raisonner ou utiliser des « faits ». « Ce n’est pas ce qui s’est passé… »

– utiliser des déclarations contenant les mots « toujours » ou « jamais ». « Tu te mets toujours dans de telles situations… »

– comparer la personne à une autre. « Pourquoi n’es-tu pas comme ta sœur ? »

– coller une étiquette à la personne. « Tu es fou/folle. »

– conseiller de couper les ponts ou d’ignorer la situation. « Ne fais pas attention à lui. »

Comprendre l’autre commence par s’accepter soi-même

Se valider soi-même est le premier pas pour mieux vivre avec l’autre.

Quand on parle de s’auto-valider, on ne parle pas de rationaliser une situation, mais bien d’arrêter de se culpabiliser et de ruminer. L’auto-validation est un moyen d’apaiser sa propre détresse et de trouver une certaine paix intérieure, en reprenant contact avec soi.

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Accepter la réalité plutôt que la nier est l’étape indispensable pour calmer notre détresse et bizarrement, la clé pour nous engager sur la voie du changement. La vie est faite de joies et de peines, il nous faut consentir aux contrariétés, car la souffrance qui fait le plus mal, c’est celle que l’on refuse. Le véritable mal, ce n’est pas tant la souffrance que la peur de la souffrance et son refus. La mauvaise souffrance n’est pas la souffrance vécue mais la souffrance représentée qui envahit l’imagination. Refuser de souffrir, c’est refuser de vivre. Or nous ne pouvons pas tout programmer dans notre vie. Nous avons donc besoin de développer notre liberté intérieure, qui passe par l’acceptation non passive des circonstances favorables ou défavorables de notre vie, la valorisation du potentiel de situation, la disponibilité à l’autre et l’implication pour trouver des solutions tournées vers l’avenir, trois clés d’analyse développées dans mon précédent article Quels regards philosophique et dialectique adopter pour mieux comprendre la complexité, notamment en situation de crise ?

Trouver son propre équilibre de vie n’a pas et ne peut pas être un but figé à atteindre, puisqu’un équilibre, par définition, ça bouge tout le temps. Dès qu’on se sent bien, content de son travail, de sa vie actuelle, de ses relations professionnelles ou personnelles, un événement ou une personne viennent rompre notre équilibre, et nous obliger à recréer sans  cesse de la nouveauté. Qui avait prévu et imaginé la crise sanitaire mondiale sans précédent du coronavirus ? L’équilibre est un art qui s’apprend, c’est tout simplement « lchantier de toute vie ».

Dès lors, vivre en se disant tout ce que nous aurions dû et pu faire est mortifère, et invalidant pour nous-même. S’accepter limité et imparfait, et en même temps motivé à aller de l’avant, c’est cela qui nous permet d’accepter l’autre également limité et imparfait, en ayant envie de cheminer ensemble.

Pour ceux qui peuvent et veulent prendre le temps de lire, vous pouvez retrouver sur mon site de nombreux articles et comptes-rendus de lecture et conférences pour vous faire du bien.

Vous trouverez également une illustration vécue de l’accompagnement de la maladie borderline dans mon témoignage à deux voix : dix ans en psychiatrie, une spirale infernale, pour lequel j’ai déjà publié un article sur le blog Management en Milieu de Santé.

DIX ans en psychiatrie Une spirale infernale Récit à deux voix