Règle de St Benoît, un modèle de gouvernance collaborative inspirant pour notre temps

« Ecoute… Tu y parviendras, qui que tu sois »

De la première phrase à la dernière phrase de la règle de St Benoît, tout nous invite à redécouvrir les trésors d’une sagesse millénaire qui a fait ses preuves comme facteur important de stabilité, dans un temps marqué par des guerres incessantes où régnait une grande insécurité. Les moines ont su défricher, inventer, innover dirions-nous aujourd’hui, structurer et diffuser la culture de leur temps dans toute l’Europe, en cultivant un art de vivre ensemble qui promeuve la paix sans nier les difficultés des relations interpersonnelles au quotidien.

Cette règle, si l’on en retire la partie purement monastique liée à la prière et aux offices religieux, se révèle d’une étonnante modernité pour comprendre et organiser de façon laïque le management dans un monde réputé Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu.

Ce qui rend cette règle de St Benoît si actuelle, c’est le fait que Saint Benoît l’ait écrite à la fin de sa vie. Il ne l’a pas fait dans un but de « marketing », pour en faire un best seller à vendre en milliers d’exemplaires, mais pour transmettre le fruit d’une longue expérience au moment où une partie de sa communauté quittait le lieu d’origine pour aller fonder un monastère dans un autre lieu. Alors que les études sur cette règle abondent, j’ai choisi de concentrer votre attention sur trois principes simples, qui sont à la source de notre devise républicaine de liberté, égalité, fraternité.

Liberté : une raison d’être qui prime sur la règle

Ce qui a permis à la règle de perdurer à travers les siècles, ce n’est pas qu’elle ait prévu l’avenir, au contraire. Ce qui étonne dans sa célébrité, c’est sa petitesse. La règle est si mince ! Est-ce possible qu’elle nourrisse la vie de tant de moines et moniales depuis le V° siècle ? Comment peut-elle régir l’organisation de communautés alors qu’elle est si modeste dans ses prétentions ?

La première force de cette règle est donc de ne pas en faire un règlement, mais un cadre dans lequel la liberté peut se déployer. C’est avant tout un esprit qui est transmis dans la règle, et non des préceptes figés et inatteignables.

Question aux dirigeants : dans un monde en perpétuelle mutation, comment pourriez-vous écrire une charte pour votre entreprise, qui reste valable au fil du temps qui passe ? Comment donner envie d’agir à des collaborateurs qui ne se sont pas choisis, et ont besoin à la fois d’autonomie d’action et de stabilité relationnelle ?

Egalité : un modèle horizontal d’organisation

L’égalité se décline en deux axes distincts et complémentaires, que sont l’écoute du besoin et de l’avis de chacun.

A l’écoute de la différence

St Benoît hésite toujours à fixer de manière uniforme une mesure commune. Il ne cherche pas un idéal inaccessible, et donc stérile. Il vise une harmonie à construire au jour le jour. « Chacun ayant son propre don, l’un ceci et l’autre cela, ce n’est donc pas sans quelque scrupule que nous réglons la nourriture pour autrui. (R40) Chaque fois qu’il le peut, il préfère s’en remettre au jugement de l’abbé, plus capable de déterminer les circonstances particulières et décider en connaissance de cause, en s’adaptant à tous…pour que les forts désirent faire davantage et les faibles ne se dérobent pas. »

A l’écoute des avis de chacun

Chapitre III « Chaque fois que des choses importantes doivent se traiter dans le monastère, l’abbé convoquera toute la communauté, et dira lui-même de quoi il s’agit. Puis il écoutera le conseil des frères, réfléchira par lui-même, et fera ce qu’il jugera le plus utile. Nous disons que tous doivent être appelés, parce que souvent c’est au plus jeune que le Seigneur révèle le meilleur conseil. Mais que les frères donnent leur avis avec toute la soumission de l’humilité, et ne se permettent pas de défendre âprement leur manière de voir. La décision dépendra plutôt de l’abbé : ce qu’il aura jugé salutaire, que tous s’y rangent. Cependant, s’il convient que les disciples obéissent au maître; il convient également que celui-ci dispose toutes choses avec sagesse et équité. » Ou encore : « ne fais rien sans conseil, et tu ne te repentiras pas de tes actes« , ce qui protège à la fois l’abbé d’une tensions excessives et les frères de son risque de tyrannie. L’abbé prend conseil de tous, quel que soit son âge et son rang.

Dès lors, son pouvoir est à exercer comme un service : « Quand un frère présentera une demande déraisonnable, qu’il ne le contriste pas pas son mépris, mais qu’il refuse d’une manière raisonnable et humble qui ne l’attristera pas ou ne le fâchera pas;

La grande découverte de St Benoît, c’est donc sa façon d’envisager les relations entre les membres de sa communauté. Dans un monde alors organisé de façon hiérarchique et verticale, il propose un modèle horizontal, qui redessine le pouvoir énorme qui était donné au responsable : l’abbé. Le ferment de l’organisation, ce ne sera donc pas seulement la tête, mais l’unité entre chaque membre, une unité qui passe par l’obéissance mutuelle.

Obéir n’est pas un mot à la mode. Se soumettre à des ordres injustes et absurdes n’est en effet pas souhaitable. En revanche, la racine latine du mot obéir invite à commencer par le commencement : prêter l’oreille, écouter. Le management collaboratif et participatif commence  justement par l’écoute de chacun, préalable indispensable pour prendre des décisions éclairées et respectueuses de chacun.

Pour cela, St Benoît repère six obstacles à l’accomplissement de la fonction de responsable que sont : la peur du jugement de l’autre, l’agitation, la démesure, l’étroitesse d’esprit qui fait s’accrocher à ses décisions et refuser d’en changer si besoin, la jalousie et le soupçon de l’autre. Le calme à acquérir pour affronter sereinement sa tâche ne se mesure bien que dans l’action, dans la responsabilité, ou encore face aux conflits. Agir dans la paix au service de l’autre est donc le propre de ce qu’on appelle un travail de bénédictin.

Question aux dirigeants : comment ma charte d’entreprise permet-elle la prise en compte concrète de chacun ? Comment se vit l’écoute au sein de chaque service de mon entreprise ? Comment je gère les 6 obstacles à la paix intérieure, cette paix nécessaire pour bien exercer mes responsabilités et bien diriger un groupe humain ?

Une supériorité du responsable à montrer dans les actes

II, 1 Etre digne d’être à la tête suppose de réaliser par ses actes le nom de « supérieur ».
12 Le responsable doit montrer ce qui est bon par des faits encore plus que par des mots.
13 Tout ce qu’il aura dit de ne pas faire, il doit signifier dans ses actes qu’on ne doit pas le faire.
22 Une seule discipline doit être appliquée à tous, selon les mérites.

Vos N+1, n+2 et vous-même comme responsable, avez-vous à cœur d’être supérieur dans votre exemplarité plus que dans votre pouvoir sur les personnes ? Vivez-vous l’exemplarité non dans le fait d’être parfait, plus fort, ne vous trompant jamais, ayant réponse à tout, mais en ayant le courage d’être avec tous dans le même bateau, dans une posture d’action et de faire ensemble ?

Fraternité : une vision réaliste et bienveillante de nos limites

Ce qui nous empêche de vivre en bonne harmonie, ce sont nos différences, nos erreurs, nos faiblesses. La règle de St Benoît est justement d’un réalisme aussi rare que nécessaire, elle privilégie la douceur à la sévérité pour faire face aux limites des uns et des autres. St Benoît, qui s’appuie sur l’évangile pour organiser la vie en commun, tempère ses propos en prenant en compte la réalité humaine. Il connaît et accepte les faiblesses, lenteurs, manquements des uns et des autres, même pour ceux qui ont promis les vœux les plus sacrés.

Certains sont vaniteux et gourmands, (D20, 18) pour d’autres le silence et l’obéissance laisse à désirer (D23,28), certains restent trop attachés à leur famille (D24).

Il ne s’agit pas de nier et critiquer cette réalité humaine, mais de l’accueillir et accompagner avec bienveillance. Pour cela, la force de la règle de St Benoît, qui a su si bien résister aux siècles, s’appuie sur

  • une communauté de personnes, une règle simple, un chef de projet qui assure la coordination
  • des temps de silence pour prendre du recul, savoir écouter, obéir aux règles de base
  • le droit à l’erreur comme levier d’amélioration individuelle et de communion collective
  • un équilibre et une régularité entre trois types d’activités indispensables qui doivent rythmer nos journées : l’activité intellectuelle de formation apprentissage,l’activité manuelle ou créative,l’activité spirituelle de prise de recul et silence.

Question aux dirigeants : comment je veille au respect des limites de chacun ? Comment je témoigne d’autres façons de faire, comme commencer et terminer chaque réunion par un temps de silence où chacun puisse prendre le temps d’être présent au moment présent et de rassembler ses idées pour éventuellement  s’exprimer ?

Je me tiens à votre disposition pour vous accompagner de façon concrète et ancrée dans les circonstances particulières de votre situation.

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