Une vie pour se mettre au monde : s’accomplir ou s’augmenter ?

Comment accepter de vieillir lorsqu’on nous incite de toutes les manières possibles à rester jeune et performant ? Voulons-nous être des « hommes augmentés » ? Préférons-nous le transhumanisme qui semble vouloir sonner le glas de l’homme diminué que nous ne pourrions accepter ? Sans limites, comment pourrait-on être comblé ? Souhaitons-nous une médecine qui nous répare ou nous « augmente  » ? Si nous augmentons certains hommes, -lesquels et pour quel coût-, serons-nous tous malades de ne pas être « augmenté » ? De quel homme et quelle humanité parle-t-on alors ?

Sans tomber dans la technophilie du « toute technique concourt à notre bien » ni à la technophobie du « le monde et l’homme courent à leur perte », nous pouvons remettre les techniques à leur place de servantes de l’homme, refuser qu’elles nous dictent nos conduites et comportements, interroger sans cesse notre propre et juste rapport et distance personnelle à l’outil.

Qu’est-ce qui dans l’homme appellerait un dépassement ? Nous sommes tous fragiles et vulnérables, qu’est-ce que cela dit de nous ? Que devons-nous améliorer ? L’homme ? Notre nature humaine ? Nos relations ? Ne confondons-nous pas notre soif d’éternité avec la sempiternité d’une vie sans fin, qui perdrait la densité du moment présent et brouillerait les rapports intergénérationnels ? « Augmenter l’homme », est-ce réversible ? Peut-on se « désaugmenter  » ? Les processus naturels sont lents, est-ce mal, triste ? Qu’est-ce que la sagesse de la Nature nous apprend de la vie ?

Le livre « une vie pour se mettre au monde » nous guide de façon joyeuse vers trois étapes vivifiantes que je formulerais ainsi

  1. accepter le temps du vieillissement. Il s’agit d’apprivoiser la vieillesse. Ainsi, nous sommes appelés à nommer les peurs dont elle est l’objet pour les dépasser et retrouver confiance dans les forces vitales qui nous portent.
  2. entrer dans le travail du mûrissement. Nous pouvons approfondir ce que l’on est, prendre de la densité en plongeant dans notre intériorité.
  3. accueillir l’oeuvre de l’accomplissement. Nous accomplissons notre vie en transmettant aux générations suivantes le goût de la vivre pleinement et d’en explorer le sens.
Couverture livre Une vie pour se mettre au monde

Une vie pour se mettre au monde
Marie de Hennezel
Bertrand Vergely

I. Vieillir

Pour bien vieillir, Stéphane Hessel apprend chaque semaine un poème qu’il aime, car cela maintient sa mémoire mais aussi son rayonnement intérieur. Pour autant, vieillir sans être vieux ne signifie pas qu’il faille s’accrocher à notre jeunesse, jouer au jeune homme ou à la jeune fille attardé, s’habiller comme nos enfants, se conduire comme des adolescents.

Les risques du jeunisme

En vivant cette seconde adolescence sur un mode insouciant et égoïste, les seniors courent deux risques. Tout d’abord ils se coupent des générations plus jeunes. Celles-ci voient d’un œil jaloux cette explosion de vitalité alors qu’ils ont parfois des vies difficiles. Ensuite ces seniors qui « s’éclatent » vivent sans la conscience du temps qui passe.

 

Sept peurs et remèdes liés à la vieillesse

1. Devenir transparent, ne plus séduire, recevoir de compliments, se sentir désiré

La beauté des personnes âgées réside dans l’expression de leur visage qui parle de tout ce qu’elles ont traversé. Cela vaut mieux que les crèmes anti-rides qui fatiguent le visage. On appelle cela le charme, qui ne vieillit pas. C’est pourquoi la faculté d’émerveillement est un grand signe de la jeunesse des personnes âgées. Dès lors, ce n’est plus le corps que l’on a qui importe mais le corps que l’on est, avec un rapport différent à la sensualité et la sexualité. De même, le plaisir sensuel se déplace vers le plaisir de voir, d’admirer quelque chose, qui peut devenir pratiquement de l’extase.

2.   Dépendre

Notre responsabilité est de ne pas peser psychologiquement sur nos enfants.

3.   Peser

Bien que redoutant d’être un poids financier, nous devons laisser à nos enfants la possibilité de nous rendre ce que nous leur avons donné.

4.   Perdre la tête

Les rôles s’inversent, avec  nos enfants qui deviennent nos parents. Aussi, il importe de parler vrai à ceux dont la mémoire diminue, de les faire participer à des groupes sur le bien vieillir, de ne pas négliger la puissance cathartique du théâtre ou du chant.

5.   Vieillir en maison de retraite

On a besoin de sécurité, or la maison de retraite est considérée comme une prison avec risque de maltraitance. Face à ces contradictions, il importe d’accueillir les formes d’humanité qui s’y trouvent, de développer son intériorité, d’inventer de nouvelles structures.

6.   Etre isolé

Nous sommes des êtres de contact, et le lien social est essentiel à notre bien-être. Or la solitude c’est autre chose, c’est le fait être seul et bien avec soi. Sœur Emmanuelle en parlait joliment, elle qui aimait ces moments de solitude où  elle se sentait dans la main de Dieu. Ainsi, chaque matin dans sa prière, elle accueillait en pensée tous ceux qu’elle avait rencontrés dans sa vie, qui  défilaient dans son cœur. « Et Dieu sait si j’en ai rencontré, j’ai vécu un siècle disait-elle. »

7.   Peur de la mort et de mourir

La plupart des vies, malheureusement sont des cadavres d’humanité…la plupart des hommes sont portés par leur biologie au lieu de la porter. Ils meurent avant de vivre… C’est pourquoi le vrai problème n’est pas de savoir si nous serons vivants après la mort, mais bien si nous serons vivants avant la mort. Maurice Zundel

Il est important de parler de la mort avec ceux qui s’en approchent, de pouvoir écrire ses directives anticipées et désigner sa personne de confiance.

II. Mûrir

Mûrir s’apprend, c’est un état d’âme et pas simplement un état du corps. On y parvient quand on ne se laisse pas effrayer par l’adversité ou la difficulté, et qu’on apprend à traverser et accompagner l’épreuve au cœur de toute vie. Souvent, on s’interroge sur le sens de la vie, et on se plaint de ne pas le trouver, simplement parce qu’on s’y prend mal ! C’est ce que veut dire le terme accepter, qui est l’accomplissement du mûrissement. C’est tout le défi d’épouser le lit de sa vie.

Car le jeune homme est beau mais le vieillard est grand
Le vieillard qui revient vers la source première
Entre aux jours éternels et sort des jours changeants
Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens
Mais dans l’ œil du vieillard on voit de la lumière
Victor Hugo booz endormi

Aller au bout

La vieillesse n’est pas un déclin mais un accomplissement. Alors il est beau d’aller au bout d’une vie, il faut aller au bout d’une vie. On oublie ce que la vieillesse apporte au fruit, au vin, à la vie.

Accepter

On pense qu’accepter consiste à se résigner. C’est une erreur. 

Qui accepte dit oui à la vie parce qu’il le veut. Qui se résigne dit oui à la vie malgré lui.

On ne se sent pas de la refuser. Ce qui se passe dans les services de soins palliatifs permet de comprendre ce que veut dire accepter. Celui qui adhère à la vie voit la vie adhérer à lui en retour, il est alors porté par elle.

Ainsi, il n’y a pas que la force de dire oui à soi qui fait les vieillesses sereines. La vie nous y aide. Vieillir, mûrir, c’est s’ouvrir au temps de l’âme. Quand le corps est moins vigoureux, qu’il répond moins à nos désirs, il ne reste pas rien, il reste l’âme, c’est-à-dire ce qui vit en nous. On peut apprendre à penser. Il suffit pour cela de vivre en apprenant. La vie, les autres et notre cœur nous lancent  des messages, à nous de les écouter. Ce n’est pas difficile de penser : il n’y a qu’à ne rien faire d’autre que c’écouter. La parole naît du silence, la pensée aussi.

Ecouter

Nous le savons, les personnes vieillissent mieux quand

  • elles ont une vie intérieure
  • elles élaborent ce qu’elles vivent en se questionnant, traduisant ce qu’elles sentent, écoutant ce qui vient de l’intérieur, dialoguant avec ceux qui parlent en elles
  • elles ont une curiosité intellectuelle et s’intéressent encore au monde, aux autres.

Mystère de la vie

Nous sommes une vie qui porte en elle tout le mystère de la vie. C’est ce mystère qui nous parle, qui se réjouit et s’attriste, qui se vit en nous. Il est extraordinaire d’écouter cette voix, de la laisser vivre en nous.

Cette vie commence par un geste simple. Cela consiste à tenter de vivre et pas simplement de survivre. Nous survivons quand nous accomplissons tout ce qu’il faut pour ne pas périr. Nous vivons quand nous comprenons qu’il faut quelque chose de plus. Il n’est pas nécessaire d’être un grand intellectuel pour avoir une âme et une vie intérieure.

Aimer

Beaucoup de gens très simples ont une grande âme et une grande vie intérieure, bien plus que de grands intellectuels. Car on vieillit de façon dramatique non parce que l’enveloppe charnelle s’use, mais parce que esprit et notre vie intérieure sont dramatiquement absents.

Musset, dans on badine pas avec l’amour. « On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux, mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.« 

Une vie de gratitude

La pire des choses qui puisse nous arriver n’est pas la mort mais la tristesse. La tristesse d’une vie gâchée faute d’amour. Vivre sans ampleur et mourir tristement, au lieu de vivre heureusement et de mourir avec sagesse. Voilà le drame. Vivre sans avoir réalisé la valeur de la vie, la chance de vivre, le miracle qu’il y a de la vie. Vivre sans gratitude.

Oui, vivre tristement en subissant tristement l’existence, le cœur rempli de ressentiment. La tristesse est bien plus redoutable que la vieillesse et la mort, parce que c’est elle qui rend la vieillesse et la mort redoutables. Le naufrage s’il y en a un, est le naufrage de l’esprit, non celui de la vieillesse.

Pour y échapper, il nous faut penser, vivre les choses de l’Intérieur, libérer la joie : la sienne, celle des autres, celle de la vie et du temps.

Le temps comme remède

Il y a un paradoxe, c’est que le temps est le remède au temps. Prenons le temps du temps, donnons-nous le temps, on se repose et tout se met à reposer. Le temps se met à durer et non plus à passer. Il se met à se remplir au lieu de se vider. Il devient un temps opportun au lieu d’être un temps important. Il cesse d’être un temps fatalité Chronos en grec pour devenir un temps opportunité kairos.

Être moderne, c’est tenter d’intégrer la notion de limite de façon créatrice. Car mieux vaut une vie limitée mais réelle qu’une vie illimitée mais irréelle. Quand on a conscience que la vie est précaire, fragile, vulnérable, que la mort pour survenir d’une seconde à l’autre, on est obligé de faire attention à soi. De même on se met à faire plus attention à l’autre.

C’est pourquoi nous sommes vieux quand nous refusons de vieillir, d’aller vers des zones de moindre intensité. Au contraire, nous sommes jeunes quand nous acceptons cette aventure, et de mourir à notre ego.

III. Accomplir

Croître et décroître

En prenant de l’âge, en avançant vers la fin de sa vie, on vit ce paradoxe : l’homme extérieur décroît, l’homme intérieur croît.

  • Le but de la première partie de la vie était égotique. Il s’agit de réaliser ses projets, ses ambitions, d’affirmer son moi. Notre monde de la performance, de l’effectivité, de la rentabilité valorise ces buts.
  • La deuxième partie de la vie à un but différent, il est spirituel.
    • Jung dit que l’énergie vitale se met progressivement au service du Soi, c’est-à-dire de l’intériorité. Le moi se sacrifie au Soi. Le but de l’énergie vitale, nous dit Jung, est de parfaire son être.
    • Michel Serres ajoute « tu n’as plus désormais à produire, mais à découvrir le vrai grain de ta vie. » Cependant il s’agit d’un travail. Cela ne se fait pas tout seul. Un travail d’acceptation, de lâcher prise, un travail sur ce que Jung appelle l’ombre. Tout ce qui est resté dans l’ombre tout ce que l’on a rejeté, refoulé, mais aussi tout ce qui n’a jamais eu la chance d’être développé. L’ombre recèle tout le négatif en soi mais aussi tout le potentiel.

S’alléger

En vieillissant il faut s’alléger. Renoncer à beaucoup de choses dépassées. Cela fait de l’espace pour tout ce qui reste à découvrir. La tâche de la deuxième moitié de la vie n’est-elle pas de s’éveiller au nouveau ?

Benoîte Groult parle de la joie des voyages immobiles. Pourquoi l’imaginaire nous a-t-il été donné ? Pourquoi avons-nous une capacité de voyager en pensée, de retourner en pensée à des endroits que nous avons aimés ?

Œuvrer

La vie nous aide à œuvrer. Les trois âges de la vie, naître, croître, vieillir, sont des moments où l’on fait quelque chose, en l’occurrence son métier d’homme.

Il existe trois formes de ce que l’on peut donner à l’existence.

  •  une forme humaine, on a alors affaire à la dignité
  • une forme artistique et créatrice, on a alors affaire au style
  • une forme spirituelle, on a alors affaire à l’espérance, qui est l’ouverture infinie.

L’indépendance n’est pas la liberté. On est libre quand on veut ce que l’on fait. L’action vient alors de l’intérieur. Elle est notre.

La Liberté est affaire d’intériorité, non d’indépendance.

« Etre immortel c’est une condamnation à mort, c’est vivre la mort au présent. » nous dit la série « mortel » de podcast qui défie à juste titre les promesses du transhumanisme. Le sens c’est une direction, et le sens de la vie est donné par la mort. Quand on l’enlève on ne va plus vers rien, on n’a plus de raison de choisir une chose une autre puisqu’on pourra tout faire à un moment ou un autre. Or si on ne choisit plus rien on est seul, on n’est plus rien les uns pour les autres, la vie est une errance où tout se vaut : on pourra essayer tous les métiers, toutes les rencontres, tous les partenaires… Le goût de la vie alors s’affadit, et sans goût, à quoi bon vivre ? La mort n’est pas à vaincre, elle est à intégrer comme inhérente à notre humanité et interdépendance. 

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